Comment la parabole du fils perdu et retrouvé résonne chez une Innue?
Aux yeux des autres et à mes propres yeux, ma vie paraissait bien ordonnée. J’avais acquis un diplôme, j’avais un travail, des biens matériels et un certain pouvoir d’achat. Il me semblait, qu’ayant tout réaliser, j’aurais dû être plus heureuse. N’est-ce pas cela réussir sa vie? Mais dans cette vie bien ordonnée en apparence, dictée par les normes de la réussite sociale et personnelle, j’ai découvert que cette réussite m’avait davantage appauvrie. Car l’égoïsme, la jalousie, le jugement, envers les autres et surtout envers mon père étaient présents en moi. Un désordre moral et spirituel m’habitait, comme pour le grand frère de la parabole.
Un jour, je suis allée rencontrer mon père pour lui reprocher de ne pas s’occuper autant de mes enfants que de ceux de mon frère. Alors il m’a dit : « Quand je pense à toi et à ta famille, jamais je ne m’inquiète. Ton époux et toi avez un bon travail. Vous êtes responsables, vos enfants sont bien nourris, bien habillés et je les sens en sécurité. Ce n’est pas le cas pour ton frère. Lorsque je regarde sa situation et celle de ses enfants, j’ai le cœur à l’envers. J’essaye le plus souvent d’être là pour le soutenir par ma présence, car je m’inquiète pour sa famille. »
Dans mon pays, qui est en fait mon cœur, il y avait une famine de compréhension et de compassion. C’était moi qui étais dans l’indigence, car j’étais pauvre des valeurs de mon père. J’avais longtemps habité sa maison, mais je ne le connaissais pas vraiment et je l’avais jugé.
Dans la parabole du fils perdu et retrouvé, c’est lorsqu’il a été dans l’indigence de ses biens que le fils cadet a découvert le vrai visage de son père. Alors, il a pu se concilier avec lui-même et ainsi découvrir ce dont il était réellement porteur. En lui était le cœur de son père. C’était cela son véritable héritage.
Fidèle à lui-même, mon père m’a accueillie et j’ai pu moi aussi me concilier enfin avec moi-même. J’ai eu l’occasion d’être habillée de la plus belle des robes, une robe faite de perles de compassion. Il m’a mis un anneau au doigt, pour que j’épouse les valeurs de ma nation. Il m’a mis des mocassins aux pieds pour que je retrouve le sentier de la vérité. Mon père nous a tous aimés, mais il a toujours été un guetteur, à l’affut de celui ou de celle qui avait le plus besoin de sa présence. Il était là, toujours.
Ce long chemin pour un pays lointain que chacun a à parcourir est fait de patience, d’accueil, de pardon, de soi et aussi de l’autre. Et je dirais que la plus importante est l’écoute : l’écoute de soi, l’écoute des autres et, surtout, l’écoute de l’Autre.
Déjà il me semble entrevoir un pays sans frontière où une famille, bien plus grande que ce que je n’aurais jamais pu m’imaginer, forme un corps en moi avec toute l’humanité rassemblée en Jésus Christ et va y planter sa tente pour toujours.
Je suis certaine que mes mocassins me mènent vers la maison de notre Père. Nos places y sont déjà préparées. Nous y sommes attendus. On nous l’a promis. Et le Seigneur accomplit toujours sa parole. Chacun et chacune d’entre nous sommes appelés à ce grand défi, celui de rechercher la vérité et la réconciliation. Non pas pour devenir l’autre, mais pour que l’autre soit. Je crois à ce rêve sacré de notre Père, qui ne désire qu’une chose : nous redonner notre dignité d’enfants bien-aimés et vitement nous habiller de la plus belle des tuniques, de nous mettre un anneau au doigt et des sandales aux pieds. Il veut nous nourrir à satiété. Un festin nous attend tous dans la maison paternelle. Et nous ne connaîtrons plus jamais la famine.
Tel est mon désir, telle est ma foi. Béni sois-tu Seigneur Jésus, toi qui es dans la vérité de l’Esprit et es venu nous réconcilier avec notre Père. Amen.
Laurette Grégoire, Uashat
Texte publié sous le titre « La parabole du fils perdu et retrouvé (Luc 15, 11-32). Vérité et réconciliation » dans la revue Parabole de septembre 2022