Gens de la forêt : Rosaire Fortin (1909-1980)
« Quand l’automne arrivait, j’étais très énervé parce qu’on allait partir toute la famille dans le bois pour l’hiver. Mes parents fermaient notre maison au village en plaçant des panneaux aux portes et aux fenêtres. Avec d’autres travailleurs du chantier, Papa était allé construire un camp rudimentaire en bois rond là où se ferait la coupe du bois. De son côté, Maman avait préparé tout le nécessaire pour vivre plusieurs mois là-bas,» raconte Cyrille Fortin de Portneuf-sur-Mer.
En 1944 et 1945, comme tous les enfants étaient trop jeunes pour aller à l’école, la petite famille s’est installée dans un chantier d’un contracteur privé. La première année, le camp a été bâti au lac Cossette et la deuxième année au lac Marguerite.
Pour Rosaire Fortin et Adela Tremblay, ce déménagement présentait des avantages : éviter l’ennui en vivant près l’un de l’autre et éduquer leurs enfants ensemble. La vie était rythmée par le travail, la chasse et la pêche, sans oublier la prière du soir et la messe du dimanche qu’on écoutait à la radio.
L’éloignement pouvait devenir lourd à la longue, comme l’explique le père de famille dans une lettre du 3 mars 1945 : « Nous en avons encore pour deux dimanches ici dans le bois, Je te dis qu’Adela s’ennuie! Elle a hâte de descendre, les enfants aussi s’ennuient. Ils vont trouver ça beau en ville! » Il écrivait alors à son demi-frère Jean-Maurice Martel devenu père dominicain.
Grâce à cette correspondance de Rosaire principalement durant les années 40, c’est toute la vie de cette famille que l’on découvre à travers les yeux d’un père attentionné. Il y parle avec douleur de Bertrand son aîné, mort à la suite d’une appendicite aigüe en 1944, avec joie de la petite Monique née en 1945, avec inquiétude de Cyrille gravement blessé à la tête après avoir été frappé par un « bicycle à gasoline » à l’été 1949, avec fierté des réussites scolaires des enfants…
Travaillant au chantier comme bûcheron ou homme d’écurie ou au moulin comme maître-scieur, il décrit, dans une lettre de 1947, la difficulté d’éduquer une famille avec peu de moyens: « Nous, le pauvre monde, on travaille du matin au soir et on s’aperçoit que nous sommes rendus vieux … Je ne veux pas dire combien même on est prêtre ou père ou évêque que l’on ne travaille pas. Je comprends que c’est une vie de pénitence et de sacrifice et qu’il y a de gros comptes à rendre, mais je trouve que quand on élève une famille, on a des comptes à rendre aussi pour élever ses enfants dans la voie du Seigneur et les conduire jusqu’à Dieu. (…) Pardonne-moi si je parle ainsi, mais c’est du courage qu’il faut partout. » Puis il termine en commentant la photo de famille qu’il joint: « Je t’envoie le portrait de notre famille. Regarde la belle petite famille canadienne, les beaux petits enfants, la belle petite femme… c’est grand de beauté! »
À l’ouverture du couvent Notre-Dame du Bon-Conseil dans le village qui regroupera les élèves des petites écoles des environs en 1948, Rosaire et Adela s’offrent pour faire l’entretien du bâtiment. Ils y travailleront jusqu’au décès d’Adela à l’âge de 48 ans. Le père de famille sera par la suite chauffeur d’autobus scolaire jusqu’à sa retraite.
Christine Desbiens, responsable des communications au diocèse de Baie-Comeau